1770 : Kerenveyer le libertinage à la mode de Bretagne
L’écriture libertine marque le XVIIIème siècle français. Cette liberté de penser, notamment dans le domaine des mœurs, touche aussi les milieux intellectuels bretons.
Le général de Kerenveyer, né à Roscoff, publie en 1757 un recueil de poésies galantes « Moments dérobés aux occupations militaires ». Il écrit dans la même veine légère un opéra comique en breton. Son Farvel goaper (Le bouffon moqueur) met en scène deux jeunes filles en quête de mariage : « Dal, Fant, bevomp bepred joaius, lezomp ar prederioù damantus, profitomp eus hor yaouankiz hag eus hor c’hoantiz » (Allons, Fant, vivons joyeuses, laissons les pensées négatives, profitons de notre jeunesse et de notre beauté). Marc’harid, la délurée, réussit à séduire Fañch et l’opéra se finit par un chant d’amour bien appuyé : « Ganez Fañch e pasein va buhez, em flijadur. Bemdez e vezo gouel ha sulvezh, me hen asur. Da garet a ran en ur feson ez on serten e c’heller eñvel joa va c’halon, ur wir froudenn » (Ma vie sera faite de plaisir, avec toi Fañch ; Je t’assure, ce sera dimanche et fête tous les jours, Je t’aime de tout mon cœur, à la folie, c’est certain !)
Mais si Kerenveyer, le Léonard, observe une certaine retenue dans son opéra comique, le général n’est pas très loin et l’esprit corps de garde s’exprime dans des poésies gaillardes tournées à la mode du temps : Dans ce type de littérature la femme est considérée comme une proie et l’homme comme le chasseur : « Kemerit birou kupidonig, Ha mar gouzoc’h mat o armiñ, Ker o devezo bezañ aonik, Sur hoc’h da bakañ glujiri ». (Prenez les flèches petit Cupidon, et si vous savez bien les armer, vous êtes sûr d’attraper des perdrix même si elles font semblant d’être un peu effrayées !).
Tout l’art de l’écrivain libertin est d’user d’une expression fine, raffinée souvent allusive, « – Pet diaoul, emezi, chom da darnijal ! hag e-pad peder eur en em skuizhañ o veutañ, Laoskit pront ar moneiz ha roit vi digabal ! » (- Que diable ! A quoi bon -dit elle- rester batifoler, et pendant quatre heures se fatiguer à louvoyer. Lâchez promptement la monnaie et donner de l’oeuf sans barguigner !).
Kerenveyer a fait le bonheur des lexicographes bretons en ce qui concerne le vocabulaire de la sexualité. Il est édité en 1941 dans la revue Sterenn (étoile) par Roparz Hemon et en édition bilingue en 2005, par le CRBC de Brest avec une traduction de Ronan Calvez.
Pennad orin / Texte original
Quemerit birou Cupidonic
A mar gouzoch mat o armi
Eb trouz &c.
Caer o deveso besa spontic
Sur och da baca glujiri,
Eb trouz &c.
[…]
Ar glujiri a so er boedic
Friand a capabl da denti
Eb trouz eb den ac eb qui
Er chasseur ma ve lipousic
A rafe ganto e choari
Eb trouz &c.
Troidigezh / Traduction
La chasse aux perdrix
Prenez les flèches du petit Cupidon,
Et si vous savez bien les armer,
Sans bruit, seul et sans chien,
Elles auront beau être effrayées,
Vous êtes sûr d’attraper des perdrix,
Sans bruit, seul et sans chien.
[…]
Les perdrix sont une nourriture
Délectable ; et capable de vous tenter,
Sans bruit, seul et sans chien.
Un chasseur, s’il est gourmet,
En ferait son régal,
Sans bruit, seul et sans chien.
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Brezhoneg
Kerenveyer, Ar Farvel Goaper, Sterenn N°6, 1941 http://bibliotheque.idbe-bzh.org/data/cle_fevrier_2016/Ar_Farvel_Goapaer_.pdf
Abeozen, Damskeud eus hol lennegezh Kozh, Al Liamm, 1962.
Français
Kerenveyer, Ar Farvel Goaper, Le Bouffon moqueur, Trad. Ronan Calvez, CRBC, Brest, 2005
Calvez (Ronan), Amours cachées, la nouvelle rhétorique mondaine bretonne, in La Bretagne Linguistique, N°17.
Calvez (Ronan), Du breton mondain, in Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, 2008. https://abpo.revues.org/277