2019 : Corentine, la grand mère bretonnante du ministre de la culture Roselyne Bachelot
« J’ai voulu que les dialogues de l’enfance de Corentine soient exprimés en breton par souci d’authenticité mais aussi pour rendre hommage à cette culture bretonne trop souvent méprisée ». Après Le Clézio dans son « Enfance bretonne » voici un autre grand nom du monde de la culture qui ne tarit pas d’éloge sur notre langue et notre culture qualifiées de « magnifique » par Roselyne Bachelot.
Corentine s’exprime donc en breton dans ce livre qui retrace la vie d’une petite fille placée à 7 ans comme domestique chez un marchand de chevaux : Chañs peus ma merc’h paour ! An Aotrou neus asantet kemer ac’hanoc’h en e servij. Emaoc’h ‘vont da labourat ‘ba e vrav a di. Bennozh Doue a zo warnoc’h… (Tu en as de la chance, petite ! Monsieur a accepté de te prendre à son service. Tu vas aller dans sa belle maison. Vraiment tu es bénie …).
Logée, nourrie, une sortie par semaine pour aller à la messe, et ses gages donnés à ses parents, voici comment Corentine sort de la misère familiale. Son travail : Da vintin, c’hwi a zegaso dour tomm ‘ba pep kambr. Ha pa vo bet diskennet ar vistri d’an diaz ‘halloc’h mont da skarzhañ an dour lous hag o fod-kambr. Me ziskouezo deoc’h peseurt mod gober ar gweleoù, pesort mod koarañ botoù ar patrom. (Le matin tu apporteras de l’eau chaude dans chaque chambre. Quand les maîtres seront descendus, tu iras vider l’eau sale et leur seau de toilette. Je t’apprendrai à faire les lits et à cirer les chaussures du patron).
Et cette scène terrible du père qui, contraint de rechercher sa fille qu’il avait placée illégalement à 7 an, se voit rétorquer par elle : « Gall’ a rit mont kuit, ma zad, amañ e tebran ma gwalc’h (Vous pouvez repartir mon père, ici je mange à ma faim).
Partie à Paris à 12 ans, Corentine est une battante. Elle se marie à un fils de bonne famille qui est tué en 1914. Ouvrière ensuite, elle revient à Gourin après la guerre : Gwisket e-giz ur briñsez hag ur plac’hig da heul ganti. Ma pize gwelet ar malizennoù ‘oa gante ! (Habillée comme une princesse avec sa petite fille. Si vous aviez vu les valises qu’elles avaient )!
Corentine se remarie et sort de sa condition. Sa petite fille, ministre, pourrait s’inspirer de ce combat réussi pour la vie et la dignité afin que la langue maternelle de sa grand-mère ne soit plus le mouton noir de la République.
Pennad orin / Texte original
Le marchand n'était visiblement pas là pour une visite d'agrément :
- Ma daet on da gerc'hat Korantin giz oa bet laret gaeomp. (Eh bien voilà, je suis venu chercher Corentine, comme nous en sommes convenus)
La petite crut d'abord qu'elle allait passer quelques heures dans la ferme de Kerbiquet mais losqu'elle aperçut sur la table un linge noué qui contenait son modeste trousseau, elle blêmit. Souriante et faussement enjouée, sa mère lui dit :
- Chañs 'peus, ma merc'h paour ! An Aotrou 'neus asantet kemer ac'hanoc'h en e servij. Emaoc'h 'vont da labourat 'ba' e vrav a di. Bennozh Doue zo warnoc'h... (Tu en as de la chance, petite ! monsieur a accepté de te prendre à son service. Tu vas aller dans sa belle maison. Vraiment tu es bénie ...)
L'homme, bien campé sur ses jambes sortit un portefeuille en cuir brun épais, en fit glisser plusieurs billets et en mit à peu près la moitié sur la table.
- Setu ar gopr evit ar c'hwec'h miz kentañ. Lojet 'vo g'ar verourez, dihad propr ha boued dezhi. D'ar Sul vintin e hallo mont d'an overenn. ( Voici les 6 premiers mois de gages; Elle sera logée avec l'intendante, blanchie et nourrie. Elle aura son dimanche matin pour aller à la messe.
Alors, il posa le reste des billets :
-Setu ar pezh 'zo bet divizet ganeomp. (ca, c'est ce qu'on avait décidé entre nous).
La terre s'ouvrit sous les pieds de Corentine. La vérité surgissait comme un poignard. Marie-Louise l'avait vendue au marchand de chevaux !
Corentine, p. 72, Plon 2019.
Troidigezh / Traduction
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Bachelot (Roselyne), Corentine, Paris, éd.Plon, 2019, 214p.