Défense de parler breton et de cracher par terre : l’écriteau de Gwenn-Aël Bolloré
QUESTIONS SUR UN INTERDIT ?
Le musée océanographique d’Odet, en Ergué-Gabéric (29), possède une pièce rare qui n’a rien à voir avec l’exploration des grands fonds marins chère à Gwenn-Aël Bolloré, mais plutôt à un épisode douloureux de notre mémoire collective : l’interdiction de parler breton à l’école.
L’écriteau « Défense de cracher par terre et de parler breton. » nous semble familier, et cette formule choc utilisée par les défenseurs de la langue bretonne pour stigmatiser la période d’interdiction du breton à l’école mais aussi à l’église ou dans les tribunaux, fait partie des choses admises par tous.
Pourtant le chercheur Fañch Broudic a soulevé le problème de l’authenticité de cette affiche. Dans deux articles parus dans le Bulletin de la Société Archéologique du Finistère en 2001 et 2002, ce spécialiste reconnu de la sociolinguistique bretonne indique que personne n’a pu présenter à ce jour une affiche authentique indiquant ce type d’interdiction. Sur son site internet www.langue-bretonne.org, il continue à mettre à jour les témoignages et les contributions au débat. La question est de savoir si cette formule a été effectivement apposée dans les lieux publics en Bretagne sur l’initiative de l’administration d’état ou si c’est une création du mouvement de défense de la langue bretonne. Ce serait alors un slogan choc pour résumer une politique d’éradication de la langue bretonne.
Le document que Gwenn-Aël Bolloré nous a légué dans son musée privé apparaît donc comme extrêmement intéressant et pose diverses questions.
Tout d’abord signalons que l’intéressé récemment décédé ne pourra pas nous donner d’indication sur l’origine de cet écriteau soigneusement encadré. Le gardien actuel du musée n’en sait pas plus. Quelques anciens papetiers proches du capitaine d’industrie restent également perplexes.
Le document ne porte aucune indication d’origine. L’extrême sophistication du décor et l’utilisation d’une police d’écriture peu banale (Roberta 3) montre que ce document a été créé par un artiste, on est loin de l’affiche de type administratif intitulée « Aux élèves des écoles » que F. Broudic reproduit sur son site.
Faut-il rechercher l’origine de ce document dans les multiples amitiés littéraires et artistiques que Gwenn-Aël Bolloré a entretenues sa vie durant ? Par ses activités d’industriel, de chercheur, d’éditeur (les éditions de la Table Ronde et Jean Picollec), par ses qualités d’écrivain, d’ancien combattant, de cinéaste, il a pu se faire offrir ce document spécialement composé par un de ses amis. Mais il est possible aussi que son sens de la conservation ait pu jouer pour un document qu’il savait rare et qu’il a voulu mettre en valeur sous un bel écrin.
La fille de Gwenn-Aël Bolloré m’a gentillement donné la clé de l’énigme. Connaissant la passion de l’illustre Gabéricois pour tout ce qui concerne la Bretagne, cet écriteau stylisé a été créé spécialement comme cadeau lors d’un de ses anniversaires. Cet écriteau est resté longtemps dans le bar privé de Gwenn-Aël à l’intérieur du musée océanographique.
On ne connait donc toujours pas l’origine exacte de la célèbre affiche reproduite partout.
Si quelqu’un a vu un tel écriteau dans un lieu public, merci de nous le signaler à l’association Arkae ou par le biais de notre site internet
www.arkae.org ou à l’adresse de l’association 2 rue de Kerdevot, 29500 Ergué-Gabéric.
Bernez Rouz, Keleier Arkae, 2007.
Pennad orin / Texte original
Il est défendu de cracher par terre et de parler breton
Muzelloù ha daoulagad gomet
Eskern an dremm tarzhet
Gwadegoù yen er gwazhied
Gwriziennoù ar bizied troc’het
Spern-gwenn goeñvet hon alan
Il est défendu de cracher par terre et de parler breton
Hor pobl ur bugel
Kemmesk ha tamolodet
Oc’h en em gwarediñ gant pleg e ilin
A-enep ar sizailhoù ar gontili kleret
A zidamma hag imbouda
Il est défendu de cracher par terre et de parler breton
Lazhadeg bugale torret
Er beureigoù du
Empennoù nevez livnet ha rabotet
Tog-biñs ar spont war ar genoù o tevel
Bouzelloù gweet skourjezet gant nadozioù ha skilfoù
Il est défendu de cracher par terre et de parler breton
Berzet o deus an hunvre hag ar gwirvoud
Dindan o urzh doñjerus
Lakaet o deus warnomp ur c’houllo divent
Gedal a reomp kuzhet er morfont
Brazezet gant o zorfed diniver
Brazezet gant stourmadenn hor pobl
PAOL KEINEG ( P.J. Oswald, 1971)
Troidigezh / Traduction
Il est défendu de cracher par terre et de parler Breton
Lèvres et yeux gommés
Os de la face éclatés
Gisements de sang froid dans les veines
Racines des doigts tranchées
Aubépine fanée de notre haleine
Il est défendu de cracher par terre et de parler breton
Notre peuple un enfant
Confus recroquevillé
Qui se protège du bras
Contre les ciseaux les couteaux glacés
Qui découpent et qui greffent
Il est défendu de cracher par terre et de parler breton
Hécatombe d’enfants cassés
Dans les petits matins noirs
Cerveaux neufs limés et rabotés
L’écrou de la peur sur les bouches qui se taisent
Entrailles tordues fouaillées d’aiguilles et de griffes
Il est défendu de cracher par terre et de parler breton
Ils ont interdit le rêve et le réel
Sous leur ordre nauséabond
Ils nous ont imposé un vide immense
Nous guettons enfouis dans la vase
Gros de leur crime innombrable
Gros de l’insurrection de notre peuple
PAOL KEINEG (EDITIONS P.J. Oswald, 1971 )
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Boudic (Bernard), Affiche "Il est défendu de parler breton et de cracher à terre"
Ker Beirhos, "Il est defendu de parler breton et de cracher par terre", in Mediapart, 5 juillet 2011.
Lebesque (Morvan), Comment peut-on être breton ?, Chap 4., 1969.
Lepage (Blandine), Quand le breton était interdit à l'école, Ouest-France, 23/02/2016