1900 : La première chronique bretonne du quotidien L’Ouest-Éclair
Voici la centième chronique bilingue Teñzor ar brezhoneg skrivet ! Ces pépites du breton, écrites à travers les siècles témoignent de la richesse de notre langue. Cette chronique bretonne a une histoire. Elle commence le 14 janvier 1900, six mois après le lancement à Rennes du quotidien L’Ouest-Éclair.
Désireux de s’implanter en Basse-Bretagne, le journal doit tenir compte d’une réalité : le breton est parlé par 1 322 000 personnes. Le quotidien explique : « Il importe de sauvegarder et de développer la belle langue bretonne que nos ancêtres nous ont transmise ».
François Jaffrennou, originaire de Carnoët et étudiant à Rennes, nous propose pour cette grande première Un dro e bro Gerne-Izel (Un tour en Basse-Cornouaille) qui le mène à Scaër : Dilhad skaer a zo brav meurbet : da gentañ ez eus ur jiletenn gant mancheier, ha brodet ar bruched anezhi, goude-se ur gorre-chupenn gant botonoù drillen ha goude-se un deirved chupenn, hep manchoù, leun a vroderezh war an divskoaz (Les vêtements des Scaërois sont très beaux : un gilet brodé avec des manches, ensuite un surgilet avec des boutons dorés et un troisième gilet sans manches, brodé sur les épaules).
Le voyageur constate la rareté des bragues bouffantes :N’eus ket nemet c’hwec’h er barrez o tougen anezho. Ridet int d’an nec’h, ledan tro ar godilli ha moan tro penn ar glin. An heuzoù a vez graet boudrioù anezho dre eno, na gouezhont ket war ar boutoù(Il ne sont plus que six à en porter. Ils sont plissés en haut, larges près des poches et étroits près des genoux. Les guêtres qu’ils appellent « boudrioù » ne tombent pas sur les chaussures.
L’Ouest-Éclair est le premier quotidien à donner une place au breton dans ses colonnes, un plaisir que ne boude pas le premier rédacteur du haut de ses vingt ans : Dre hon c’homzoù, dre hon zammoù skrijoù, dre hon c’huzuilhoù, e c’hallomp ober muioc’h a vad en hon c’horn douar evit ar re na reont nemet skeiñ war an taboulin (Par nos paroles, nos réactions, par nos conseils, on peut faire plus pour notre coin de terre que ceux qui ne font que cogner sur leur tambour).
Appelée d’abord « La colonne bretonne » la chronique très vivante de Jaffrennou se transforme en un rendez vous poétique « Les lundis bretons ». La publication cesse au printemps 1904 ; elle renait en 1936 avec le célèbre Korn ar Brezhoneg(Le coin du breton).
Pennad orin / Texte original
War hent ar Fouenant
Amañ eo ret din kontañ un tammik digouezadenn a c'hoarvezas ganeomp war hent ar Fouenant, en tu all da vourc'h Ar Forest.
En un draonienn c'hlas ha don, war vord an hent bras e oa div pe deir lochennig plouz, ha dirazo e c'hoarie teir blac'hig vihan a zek vloaz bennak, gante gwiskamant ken brav Rosporden a lak ar merc'hedigoù heñvel ouzh ar barbelligoù, ouzh gwenan lirzhin, pe welloc'h ouzh aelez eus an neñv. 'Vel ma oa tenn ar grec'henn a oa eno da sevel, e tiskenjomp hag e kerzechomp en ur vouta hon c'hezek diragomp. Ken koant e oa an teir blac'h vihan ma chomchomp en hon sav da gaozeal ganto ur pennadik. Unan anezho a zeuas da droidellat en dro deomp gant bokidi bleunioù-mae en he dorn, hag e lavaras din :
- Sell Aotrou, ma kerez e po ar fleur mañ da gas ganit.
- Ya, ma merc'hig, deus amañ da reiñ ane'e din
- O ! Na dostain ket dit, rak te a welan a zeu deus a-bell, mes me lakeo ane'e war an hent bras, hag e teui d'o c'herc'hat eno.
Ar plac'hig a lakeas ar fleur war an hent, mes dre ma tostaen e tec'he pelloc'h 'vel he dije aon
- Deus amañ bremañ ha me roio ur pok bihan dit evit da boan.
- O ! nann, na dostain ket. Ur wech all pa dremeni
- Na dremenin ken, plac'h vihan, me zeu eus a-bell ha da bell ec'h an.
- Nann, nann n'eus forzh, te zistroio amañ war da giz d'am gweled, ha neuze e vin bras !
Chom a ris souezhet, ha Lajat ivez o kleved ar plac'h vihan-se a zek vloaz-se o komz evel-henn. Ma kemeris ar bokedig, hag hen stagis d'am chupenn, gant ar soñj da vired anezhañ en eñvor da blac'hig vihan Ar Forest
François Jaffrennou in Ouest-Éclair 7 a viz Mae 1900 : Colonne bretonne, Un droiad e Kerne.
Troidigezh / Traduction
Sur le chemin de Fouesnant
Ici il faut que je vous raconte une rencontre que nous fimes sur la route de Fouesnant, l'autre côté du bourg de La Forêt.
Dans une vallée verte et profonde, sur le bord de la grand route il y avait deux ou trois chaumières. Devant elles jouaient trois petites filles d'une dizaine d'année, habillées à la mode de Rosporden. Des habits si beaux qu'elles ressemblaient à des papillons, des abeilles joyeuses ou mieux encore à des anges du ciel. Comme la montée était dure nous descendîmes de nos vélos et nous les poussions devant nous. Les trois filles étaient ci jolies que nous nous arrètames pour discuter un peu. Une d'entre elle nous tourna autour avec des fleurs de mai dans la main.
- Tenez, monsieur, si vous voulez vous pouvez prendre ces fleurs
- Bien sur ma fille, viens me les donner
- O! Je ne m'approcherai pas, parce que tu viens de loin, je les mettrai sur la grand-route et tu viendras les prendre.
La petite fille mis les fleurs sur la route, mais comme j'approchais elle s'éloignait comme si elle avait peur.
- Viens ici donc que je donne un petit baiser pour ta peine.
- O ! non, je ne m'approcherai pas, une autre fois quand tu passeras.
- Je ne passerai plus, petite fille, j'habite loin d'ici et je m'en vais loin.
- Non, non, celà n'a pas d'importance, tu reviendras me voir plus tard, et alors je serai grande !
Je restais étonnés et Lajat aussi en entendant cette jeune fille de dix ans parler ainsi. Je pris le bouquet et je le l'accrochai à ma veste, avec l'idée de le garder en souvenir de la petite fille de Fouesnant.
François Jaffrennou in Ouest-Éclair 7 a viz Mae 1900 : Colonne bretonne, Un droiad e Kerne. (Un tour en Cornouaille)
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Jaffrennou (François) Eun dro en bro Gerne-Izel, in Ouest-Éclair du 14 janvier 1900 :https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6387713/f1.item