Le Trésor du breton écrit Teñzor ar brezhoneg skrivet
Ce blog s'inscrit en complément de la Chronique Brezhoneg : trésor du breton écrit publiée dans Ouest-France dimanche. Vous y trouverez les textes intégrals et leurs traductions ainsi que des éléments de bibliographie et des liens internet pour en savoir plus. Amzer ar brezhoneg skrivet a ya eus ar bloaz 800 betek vremañ. Kavout a reoc'h amañ ar pennadoù en o hed hag o zroidigezh ha war an dro un tamm levrlennadurezh hag al liammoù internet da vont pelloc'h ganti ma peus c'hoant.

“Glas” et “Brizh”, les nuances emblématiques du paysage breton

Dans mes lectures d’été, j’ai été interpellé par une page de Vivarium, le dernier ouvrage de Tanguy Viel. Le Brestois interroge l’identité des couleurs bretonnes.  Il cite l’adjectif bien connu glas qui désigne ”la couleur de la mer quand elle hésite entre le bleu et le vert et parfois le gris”. Pas facile de traduire ar mor glas (La mer bleue-verte) par contre le vêtement glazik se traduit par petit bleu. Pour être clair, tout ce qui est de fabrication humaine se divise entre glas = bleu et gwer = vert.  Tout ce qui est naturel (plantes, ciel, mer) se dit glas épousant ainsi les variations infinies du paysage breton soumis aux caprices climatiques : Ne vez ket a c’hlav met amzer c’hlas a ra dimp ( Il ne pleut pas mais le temps est incertain) dit-on à L’hôpital-Camfrout.

Tanguy Viel se désole qu’il n’y ait pas un autre ”intraduisible” qui dirait ”l’entrelacs des bruyères, les tapis d’herbes rouille… toutes espèces landicoles assoupies sous la brume”. Qu’il se rassure, ce mot existe il s’agit de brizh, prononcé brih en vannetais et briz ailleurs. On le traduit par ”de différentes couleurs, tâcheté, moucheté, grivelé”.
Appliqué à l’homme, on cite en 1630, un den brizh, leun a dachouidigoù a rouingigoù (un homme lentillé, plein de tâches de rousseur ). On cite aussi ur penn brizh he deus, pikoù rous zo war he dremm ( Sa tête est parsemée de tâches de rousseur). C’est pourquoi il y a tant de gens qui s’appellent Le Bris en Bretagne bretonnante.

Du côté météo, an amzer vrizh désigne an amzer cheñj-dicheñj (temps changeant). A Groix, on note brizh emañ an amzer, met ne daol ket glav (Le temps est entre les deux, mais il ne pleut pas). Brizh rejoint ainsi glas dans le jargon météorologique.

S’il y a un peintre qui a su magnifier ce brizh typique des paysages de Bretagne c’est bien Yves Tanguy. Voici ce qu’en dit son biographe René le Bihan : Eus un tu an tonioù gell, bouliermini, louet-gwer, moug-don hag eus an tu all an tonioù glas, ur vlinkadell d’an oabl ha d’an douar (D’un côté les bruns, les terres, les gris-vert, les mauves profonds, de l’autre les bleus, clins d’oeil au ciel et à la terre).
Le lexicographe Grégoire de Rostrenen a osé en 1732 une hypothèse hardie : ”Ce nom de Breiz peut venir de briz qui veut dire coloré, peint de diverses couleurs”. Cette éthymologie de Bretagne = bigarrée n’est pas certaine mais plut au grand écrivain briochin Louis Guilloux qui s’en fit le porte-voix.         

Ci-dessous, tableau des Landes des Monts d’Arrée de Marcel Cloarec, peintre originaire de Brasparts.

Pennad orin / Texte original

Ur ger a zo e brezhoneg evit liv ar mor pa c'hoari etre gwer ha glas, ha gris-teñval a-wechoù : pa ne ra ket forzh ar mor ouzh identelezh resis al livioù eo gant mousfent korn e veg e lavarer e Breizh emañ "glas" anezhañ. Met daoust da se, e kreiz ur bed a amresisded eo sklaer d'an holl . Splann eo deomp arlivioù an difraezhder.

Biskenn eo ne vije ket e brezhoneg ur ger all na c'heller ket treiñ evit lakaat war livioù horellus ha garv al lann e-pad ar goañv, kamahu klemmganus glas-gwer deuet d'en em goll er glaouachenn demer, pa gouezh ur gwiskad tull-ludu war skeud teñval ar spern-gwenn - peder pe bemp lizherenn a rofe ton da weadurioù ar brug er gwall amzer, mergl al letonennoù ha gell-mouk ar malvennoù liturgek strevet a-vouchadoù, e berr-gomzoù, ra vo gouest ur ger-gwrizienn da envel kement louzeier al lann ledet dindan ar vrumenn.

TANGUY VIEL,

Vivarium, éditions de minuit 2024, p.80-81
Tr. Bernez Rouz

Troidigezh / Traduction

Il existe un mot en langue bretonne, pour dire la couleur de la mer quand elle hésite entre le bleu et le vert, et même, par extension quelques fois, le gris qui vient l'assombrir : chaque fois que la mer ne respecte pas l'identité nominale des couleurs, on dit en Bretagne avec l'ironie qui convient, le "glaz". Mais il n'empêche : au cœur même de l'indistinction, on sait soudain de quoi on parle. On voit le spectre de la couleur dans son indétermination même.

C'est bien dommage que dans la même langue bretonne, il n'y est pas un autre "intraduisible" pour qualifier les tons âpres et chancelants de la lande en hiver, le camaïeu de vert élégiaques venus se perdre dans la bruine de plus en plus opacifiante, le tulle de cendres qui tombe en nappe sur l'ombre noire douce des aubépines–quatre ou cinq lettres qui diraient l'entrelac des bruyères par mauvais temps, les tapis d'herbes rouille et les mauves liturgiques qui persistent par esssaims, bref, qu'un signifiant à lui seul, soit assez cespiteux pour tenir par la racine, toutes espèces, landicoles assoupies sous la brume.

TANGUY VIEL,

Vivarium, éditions de minuit 2024, p.80-81

Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin

Geriadurioù / Dictionnaires
Gregoire de Rostrenen, Dictionnaire françois-seltique, p. 117, lire en ligne sur gallica
Le Gonidec, Dictionnaire breton français, 1850, p.163
Victor Henry, Lexique étymologique des termes les plus usuels en breton, Breiz, p.43, lire en ligne
Albert Deshayes, Dictionnaire étymologique du breton, p.134, Chasse Marée, 2003

Studiadennoù / études
D'arbois de jubainville, L'île prétanique, in Revue Celtique XIII, p 398, 1892, Lire en ligne sur gallica
Bernez Rouz, Breizh, Bertaegne, Bretagne, Brittany, breton, d’où viennent ces noms qui nous identifient ?, Ouest-France 4/07/2021 lire en ligne

 

Lennegezh / Littérature

Tanguy Viel, Vivarium, Les éditions de minuit, 2024, p.80