1823 : Le Lycée Armoricain, premier magazine breton, s’enflamme sur l’origine de la langue bretonne.
S’il est écrit en français, cette revue culturelle nantaise, née il y a 200 ans, s’interroge dès son premier numero sur l’identité des Armoricains. A l’époque, le concept ”Nos ancêtres les Gaulois” fait florès. Mais les bretonnants sont ils Gaulois ou descendants des Celtes insulaires ? La question déchaine les passions à grand coups de citations grecques, latines et des références plus douteuses au breton.
Par exemple, de nombreux toponymes de France s’expliquent par le breton : Le fleuve Adour vient de An Dour (L’eau), la Dordogne vient de Dour Don (eau profonde) et Toulon de Telenn (Harpe) ! Enfin l’expression druidique Au gui l’an neuf qui devrait être traduite par uhelvarr ar bloaz nevez est inconnue, les bretonnants utilisent agilane, la vieille expression gauloise. Donc le breton c’est du gaulois !
Tonnerrre dans Landerneau, l’identité celtique insulaire du breton est niée ! Et les contradicteurs de citer nos paroisses en Lan (Territoire)en Plou (paroisse) en Lok (ermitage) en Tre (trève) en Roz (colline) en Gwik (bourg) issues de l’immigration bretonne. D’ailleurs les bretonnants appellent la France Bro C’hall, le pays des Gaulois, c’est donc qu’ils ne se sentent pas gaulois !
La réplique fuse : l’ennemi héréditaire des Bretons c’est Ar Saoz, (L’anglais), Saozon Ruz (Saxons rouges) est le juron suprême ! C’est donc que les Bretons ne se sentent pas d’origine insulaire. Erreur ! les Bretons reprennent des expressions galloises, ils formaient donc un même peuple !.
La polémique enfle au sujet des bragoù-bras (grandes culottes), attributs des Gaulois. On cite des poètes romains : Gwarezet e oant eus ar riou gant krec’hen ha brageier. (Ils se protégeaient du froid avec des peaux et des braies). Ar bragou galian a c’holo hanter ar feskennoù ( Les braies gauloises couvrent la moitié des fesses). Outre manche, par contre on porte le kilt : Ur seurt brozh-verr a ziskenn hanter-c’har a servij dezhe da vragoù (Une jupe courte qui descend à mi-cuisse qui leur sert de culotte).
Kerdanet, bretonnant léonard, sort alors son arme fatale l’érudition : C’hwec’h merc’h gwerc’h, war c’hwec’h sac’h kerc’h, war c’hwec’h marc’h kalloc’h (six filles vierges sur six sacs d’avoine sur 6 chevaux entiers) un slogan qui marque l’apreté, l’ancienneté, la singularité du breton issu d’un mélange des parlers des deux côtés de la Manche. Une leçon de sagesse pour des lycéens bien dissipés et qui ont encore beaucoup à apprendre !
Pennad orin / Texte original
La langue bretonne vue par un Brestois (déjà !)
La langue que parle le Bas-Breton n'a presqu'aucune analogie avec les autres langues vivantes. Je la crois très ancienne...Elle est rude, les sons guttauraux fatiguent l'oreille et produisent des sifflements qui détruisent toute harmonie. Elle ne manque cependant ni de force, ni d'énergie : elle se corrompt et se francise tous les jours davantage. Rien n'a contribué à la fixer ; ses principes, ses règles sont incertains et nul auteur marquant l'a illustrée, aussi disparaitra t'elle à la longue. Une singularité de ce dialecte, c'est qu'il y a un terme pour désigner chaque nation, chaque peuple, et qu'il n'a celui générique d'ennemi ar-saoz, pour nommer un Anglais. La haine la plus constante, la plus invétérée contre les Anglais règne chez l'Armoricain. Tout enfant des Iles Britanniques est à ses yeux un homme indigne du jour. Il pourrait être curieux de rechercher les motifs de cette haîne entre deux peuples qui semblent avoir une origine commune.
B ********* (de Brest)
Extrait de "Notices sur les meurs, usages et coutumes des Bas-Bretons)
Le Lycée Armoricain, 1823, 6ème livraison, p. 369
Troidigezh / Traduction
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Le Lycée Armoricain, lire en ligne sur le site Gallica