2023 : Le bicentenaire de la naissance du trégorrois Ernest Renan, bretonnant et fier de l’être.
Ernest Renan a marqué la vie culturelle française du XIXème siècle. Il s’est interressé très tôt aux langues en publiant des livres sur l’origine du langage et sur l’histoire de l’hébreu ce qui lui vaudra une chaire au Collège de France. Ce qu’on sait moins, c’est sa relation intime avec sa langue natale le breton.
Dès 1845, il note dans son carnet une formule enfantine Salut d’an tatadig kozh, ha resped d’ar goneer bara (Salut à notre vieux père et respect au gagneur de pain). Il remarque des similitudes troublantes entre l’hébreu et le breton. Il publie en 1857 un livre sur la poésie des pays celtiques.
Il produit un court article dans le premier numéro de la Revue celtique consacré à Abélard. Il y explique que le celèbre philosophe breton tient son nom de la racine celtique Ab pour mab (fils) et Alard, un nom d’homme.
L’écrivain Jarl Priel a raconté un repas que son père partagea avec l’écrivain. Ne voe komzet ouzh taol ger ebet nemet e brezhoneg… biskoazh brezhoneger n’am eus klevet e-tailh da gaozeal ha da farsal ken dudius hag eñ, hag e vijen chomet ad vitam æternam gant va genou bras ouzh e selaou ( On ne parla que breton à table. Jamais je n’ai entendu un bretonnant causer et blaguer de façon si intéressante et je serai resté la bouche ouverte à l’écouter ma vie entière).
Son humour trégorrois s’exprime dans ce portrait de lui-même, Va divar ‘zo berr ha ma c’hof zo pounner (Mes jambes sont courtes et mon ventre est lourd).
Mais Renan n’était pas seulement un locuteur passif. Il a oeuvré de façon pratique pour mettre sa langue en valeur selon le professeur américain bretonnant Reun ar C’halan : Hep skoazell Renan ne vije ket bet roet d’An Uhel ha da Anatole ar Braz yalc’hadoù evit dastum hag embann sonioù, gwerzioù, ha kontadennoù Breizh ha graet en doa e seizh gwellañ evit ma vefe krouet ur gador war ar c’heltieg er Collège de France ( Sans l’aide de Renan, Luzel et Anatole le Braz n’aurait pas eu d’aides pour collecter et éditer les chants, complaintes et contes de Bretagne et il a fait tout son possible pour créer une chaire de celtique au Collège de France).
Il contribue ainsi à la reconnaissance universitaire de sa langue natale restée à l’état « sauvage » jusqu’à là puisque soumit au morcellement naturel comme toute langue non enseignée.
Pennad orin / Texte original
Ur brezhoneger dispar : Ernest Renan
Ma zad a yee bemdeiz da labourat da di an Ao. Goaster, marc'hadour gwin dre vras e Landreger. Un deiz bennak e fgellas da hemañ pediñ da verennañ
Ernest Renan o chom er vro er mare-se. Kerkent ha ma teuas an itron da c'houzout he dije da vezañ tal ouzh tal gant ar seurt lakez an Drouk-spered, raktal e skaras d'ar Porzh Gwenn gant he bugale hag an holl vitizhien. Setu ma rankas va zad aozañ boued hag ober war dro an daou vignon. O vezañ ma plije d'ar Goaster diskouez ne oa ket bajanek holl gant ar brezhoneg ne voe komzet ouzh taol ger ebet nemet er yezh-se. Ha meur a wech am eus klevet digant va zad : "Daoust ha m'am boa kas ouzh Renan, biskoazh brezhoneger n'am eus klevet e-tailh da gaozeal ha da farsal ken dudius hag eñ ha bete vitam æternam e vijen chomet gant va genou bras ouzh e selaou".
Jarl Priel, Va zammig Buhez, emb. Al Liamm, p. 17
Troidigezh / Traduction
Un bretonnant sans pareil : Ernest Renan
Mon père allait tous les jours travailler chez monsieur Goaster, négociant en vin à Tréguier. Celui-ci voulut un jour inviter à déjeuner Ernest Renan qui était alors au pays. Dès que madame sut qu'elle serait en tête à tête avec ce laquais de l'Esprit-malin, elle décampa et s'en alla au Port Blanc avec ses enfants et toutes les servantes. Aussi mon père dut préparer le repas et s'occuper des deux amis. Comme il plaisait à Goaster de montrer qu'il n'était pas tout à fait ignare en breton, on ne parla à table que cette langue. Et plus d'une fois j'ai entendu mon père me dire : "Bien que j'éprouvasse de l'animosité à l'égard de Renan, jamais je n'ai entendu bretonnant capable de parler et de plaisanter d'une manière aussi agréable que lui et je serais rester jusqu'à vitam æternam à l'écouter, la bouche grande ouverte".
Jarl Priel, Va Zammig Buhez, édition Al Liamm, p. 17
Traduction dans Skol Vreizh, 1976, N°44, p. 26
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Brezhoneg
Reun ar C'halan, Renan hag ar brezhoneg, in Al Liamm, 2002, N°335 pp 83-89
Jarl Priel, Skol Vreizh, 1976, N° 44, p25 Ur brezhoneger dispar : Ernest Renan lenn en linenn
Français
Léon Fleuriot, Renan et les langues celtiques, in Bulletin des études renaniennes, N°40, 1979 pp50-53 lire en ligne
Galand René, Renan savait-il le breton ?, in Nouvelle revue de Bretagne, 1952/6 p.444-447 lire en ligne
Ministere de la culture, Bicentenaire de la naissance d'Ernest Renan, le 28 février 1833, lire en ligne
Oeuvres de Renan concernant le domaine celtique
Ernest Renan, Sur l'éthymologie du nom Abélard, in Revue Celtique, N°1, 1870 Lire en ligne
La poésie des Races celtiques, Revue des deux mondes, 1854, lire en ligne
Souvenirs d'enfance et de jeunesse, 1883 lire en ligne
L'âme bretonne, 1854
Histoire générale et systèmes comparés des langues sémitiques (1855).