L’herbe d’oubli (ar saouzanenn) : la plante diabolique des traditions bretonnes
Le mot est connu en vieux breton sous la forme soudan (égarement, hébétude), qui évolue en saouzan en 1500 où on lui donne comme synonyme dihenchañ (perdre son chemin). La première description se trouve dans le dictionnaire de Grégoire de Rostrenen en 1732. Il la définit physiquement comme « une plante rampante qui ressemble à de la mousse verte entortillée ». Mais il lui donne surtout une vertu maléfique : elle égare la nuit ceux qui marchent dessus d’où l’expression saouzanañ war an hent qu’on peut traduire par perdre son chemin.
Le linguiste Herve le Bihan rappelle que la tradition populaire confirme ce caractère magique de la plante : près de Port-Louis, Yves le Diberder a noté au début du XXème siècle : « Kollet hor beus an hent, aet omp àr louzaouenn ar saodan » ( Nous avons perdu notre chemin, nous avons marché sur l’herbe d’oubli). Avant lui, François le Menn affirme que marcher sur cette plante vous condamne à tourner toute la nuit dans un cercle infranchissable. Cette herbe répand la nuit une lueur phosphorescente.
Cette plante porte d’autres noms. Le trégorrois Jules Gros cite : Pa valeer war ar wir-geotenn e vezer kelc’hiet ( Quand on marche sur l’herbe magique, on est ensorcelé). Le mot kelc’h (cercle) vient de l’habitude des sorciers de tracer des cercles desquels on ne sort pas). Cette plante maléfique a aussi son pendant maritime : ar wir-vezhinenn a gelc’h an dud en noz pa valeont warni (L’algue magique ensorcèle les gens la nuit quand ils marchent dessus).
Plus près de nous, le dictionnaire breton des sciences utilise saouzan en psychologie : difficulté à s’orienter dans l’espace et le temps. Francis Favereau le traduit par hypnose.
Saouzan sert aussi à définir une musique très contemporaine ; celle de La circulaire de François Robin : Seniñ dibaouez a dalvez kement ha leuniañ an egor ha kemer plas ar goullo, klask ar saouzan er sonioù taolet adarre hag adarre. ( Jouer en continu, c’est remplir l’espace pour remplacer le vide. C’est rechercher l’hypnose dans la répétition.).
Emilie Quinquis s’en empare dans son morceau Adkrog (Reprise) : Saouzan saouzan, sko warnon sav-sonn, santad, santad, kresk ennon. (Hypnose, élève moi, sensation
envahi moi).
L’herbe d’oubli n’est autre qu’une variété de lycopode aux puissantes propriétés narcotiques, herbe magique connue des druides.
Pennad orin / Texte original
Troidigezh / Traduction
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Le Bihan (Herve), Notes de moyen breton, in études celtiques 2018, pp 179-187.
Menard (Martial), Saouzan, in Devri, dictionnaire syncronique du breton.
Beaulieu (François de), L'herbe d'oubli et l'herbe d'or, in Armen N°99, decembre 1998.
Giraudon (Daniel), L'herbe d'oubli, Musique bretonne, N°14, 1981
Giraudon(Daniel), Du chêne au roseau, Yoran Embanner, 2010, pp21-29.
Le Roux (Françoise), Guyonvarc'h (Christian), Les druides, Ouest-France, 1986.
Poullain (Albert), Sorcellerie, revenants et croyances en Haute-Bretagne, Ouest-France, 1997
Sonerezh/Musique
Quinquis, Adkrog, 2021, in You tube
La Circulaire, François Robin (beuz), Sylvain Girault (kan), Erwan Hamon (fleüt)
Lennegezh/Littérature
Tangi (Bernez), Ar saouzanenn, Skrid, 2011.
Guilloux (Louis), L'herbe d'oubli, Gallimard, 1984.
Bardet (Daniel), Dermaut (François), L'herbe d'oubli, Tome VIII, Les chemins de Malfosse, Glénat, 1995
Hoop (Jean-Michel), L'herbe de l'oubli, Théâtre, Bruxelles, 2018.