1891 : Polémique sur la gwerz Perinaïg ( Piéronne la Bretonne), compagne de Jeanne d’Arc
Jamais une complainte bretonne n’a fait un tel buzz ! En 1891, Narcisse Quellien écrit une gwerz (complainte) sur une consoeur peu connue de Jeanne d’Arc « qui estoit de Bretaigne bretonnant ». Il décrit notre Perinaïg (Piéronne) au pied du bûcher : Kloc’h ar basion zo tiñset d’ur plac’hig d’ar marv barnet. Degaset traoñ d’ur bern keuneud, mistr evel an heizez er c’hoajoù ha treut-treutoc’h ‘vit an Ankou. (La cloche de l’agonie a sonné pour une fille condamnée à mort. Conduite au pied du tas de fagots, belle comme une biche et plus décharnée que l’Ankou).
Perinaïg prétend avoir vu le Christ et soutient Jeanne d’Arc, elle subit le même châtiment : Abalamour d’ho perejoù, heuliet ganeoc’h ar sorserez (A cause de vos péchés et pour avoir suivi la sorcière). Le bûcher fut dressé devant Notre-Dame de Paris : En ur pignal gant he c’halvar e kane dous klemgan a c’hlac’har. Ar gourgammoù tan a strinke, Ur vouez en nec’h c’hoazh pa gane gwerzik Breizh-Izel ( En montant sur son calvaire elle chantait doucement une chant triste. Les flammes crépitaient et on l’entendait encore chanter la complainte de Basse-Bretagne.)
Et c’est là qu’intervient le miracle : Neuze zo gwelet un evnig, emichañs ene Perinaïg, Ha dre ma save d’an oabl splann, diwar e nij an evnig glan, e torre d’an tan diwar e lerc’h hent ar stered ken gwenn ha erc’h (Alors on vit un oiseau, l’âme de Perinaïg, qui éteignit le feu en s’envolant dans le ciel pur vers le chemin des étoiles, immaculé comme neige,).
Il fallait bien sûr un bouc émissaire en la personne des Anglais : Karo Saozon neb a garo, Biken breizhad n’o fardono (Chacun est libre d’aimer les Anglais, Mais jamais un Breton ne leur pardonnera).
Ce bel exercice littéraire donna une idée à Narcisse Quellien : faire un monument sur le Menez Bré en honneur de la Jeanne d’Arc des Bretons. Il mobilisa un Comité des Dames Bretonnes à Paris, Il fit conférence à la Sorbonne, trouva appui auprès d’Anatole France. Plus de 150 journaux et periodiques de l’époque s’y interessèrent. Ce bel élan se cassa sur un mur unanime dressé par les érudits bretons : Renan, La Borderie, Loth, Luzel, Trévidy estimèrent que Piéronne dont on ne savait presque rien ne méritait pas de rentrer au Panthéon de la Bretagne. Quellien, s’entêta, hérita du surnom de Perinaïg par ses compatriotes de la Roche-Derrien. Et on en resta là !
Pennad orin / Texte original
Ar gourgammoù-tan a strinke
Ur vouez en nec'h c'hoazh pa gane
Kreiz ar bern-suilh stignet uhel
A gane gwerzik Breizh-Izel
E-berr Perinaig pa vougas
He mignonez a daoulinas
Ha paouezet mik da ganañ
A stagas a-grenn da ouelañ
Kerkent ur burzhud ' zo gwelet
Ken ar Saozon oa souezhet
Rak zo staget un avel tomm
Da c'hwezhañ war o fennoù plom
Ha savet an holl gant spouron
O welet ruz-tan ar Saozon.
Ruz o zremmoù hag o zilhad
Hag ar varnerien ru' vel gwad
Ruz prezeger hag archeriuen
Ha ruz tro-war-dro an dachenn
Hag an iliz gant ar c'hleier :
- An tangwall, emeze, zo war gêr!
Ha gant ur c'hef an diaouloù
'Lake tan e bolz an neñvoù
Gwerz Perinaig, P.36.
Troidigezh / Traduction
Les flammes déjà pétillaient
Et une voix là-haut chantait encore
Au milieu du bûcher dressé si haut
Elle chantait la cantilène de Basse-Bretagne
Bientôt quand la petite Perrine périt étouffée
Sa compagne tomba à deux genoux
Et cessant elle-même de chanter
Elle se prit à pleurer soudain.
Aussitôt on assista à un prodige tel
Que les Anglais en furent surpris
Car un vent brûlant se mit
A souffler au-dessus de leurs têtes ;
Et tout le monde de se lever avec épouvante
En voyant les Anglais rouges de feu,
Rouges leurs visages et leurs vêtements
Et les juges rouges aussi comme du sang ;
Rouge le prédicateur et les soldats
Et le parvis rouge tout autour ;
Et l'église aussi; avec ses cloches
- "L'incendie s'écria t'on est sur la ville !
Et avec des tisons on vit les démons
Qui mettaient le feu dans la voute du ciel
Gwerz Perinaig P.37 (Traduction par l'auteur)
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Quellien (Narcisse), Perrinaïc la Bretonne, compagne de Jeanne-d'Arc, Paris, 1891, 43p (Bilingue).
Quellien (Narcisse), Perrinaïc la compagne de Jeanne d'Arc, Revue encyclopédique, octobre 1893
Anonyme, Journal d'un bourgeois de Paris, (1405-1449) publication 1881. (Gallica), p259-260-271.
Perrinaïc ou la Jeanne d'Arc bretonne, in La joie de la Maison, 21 juin 1894, pp365-366. (Gallica)
Gourq (Jean du), La Perrinaïc, in Gil Blas, 15 mai 1894 (Gallica)
Trevedy, Le roman de Perrinaic, in revue de Bretagne et de vendée, 1894, vol.11, pp.23-49.
Jordan (E.), Perrinaic, in Annales de Bretagne, 1893, vol.9 P.425-426
Loth (J.), le nom de Perrinaïc, in Annales de Bretagne 1893, p.428
Tamisey de la Roque, Perrinaïc, in Mélusine, 1/01/1894, pp 5-7.
Le Moyne de la Borderie (Arthur), Une prétendue compagne de Jeanne d'Arc, in Le Correspondant, 10 juin 1890
France (Anatole), Univers illustré N°2018, 25 nov.1893
France (Anatole), Supplice de la Pierronne, Vie de Jeanne d'Arc, T.II, pp211-213
Pascal-Etienne (W), Etude historique, Perinaik, une bretonne compagne de Jeanne-d'Arc, 1893,168p.
Cantel (J), Perinaïk, éd. Plon, Paris, 1891.
Le Barzic (Ernest), La Roche-Derrien et ses environs, Le barde Narcisse Quellien, Rennes, Ed. Simon.
Wikipedia (Fr) : Pieronne la Bretonne
Wikipedia (ca) : Piéronne la Bretonne