1971 : Koulizh Kedez, le poète sulfureux de la littérature bretonne
Dans l’effervescence des années 70, la revue Sav Breizh (Debout Bretagne) devient le creuset d’une littérature de combat. Gwernig, Grall, Guel, Glenmor signent des textes incandescents à la gloire d’une Bretagne qui sort de ses sabots. Quand Koulizh Kedez publie il y a cinquante ans un premier texte, Orezonoù, le souffle poétique qui s’en dégage enterre tout net des décennies de rimes conventionnelles :
Trumm ! An dispac’h gwar a zifluk !
Trumm ! Stivell an Awen a flistr !
Trumm ! Fioun, fum, fuc’h : an Emsav a zifoup !
Bouch, af, pok, bouch, af, pok …
Flammflaminañ, flammflaminañ, flammflaminañ a ra,
Strink-deiz hor c’halonoù.
Va gwad a dalm hag a darzh.
Flemm an Ankou ha strilh an diaoul
A vroud va c’horf go
Gwashoc’h eget beg ur goaf.
(Et hop ! C’est la révolte inattendue ! Et hop ! L’inspiration fuse ! Et hop ! On s’excite, on s’enflamme, on fulmine, nous voici ! Baiser, bisou, bécot, baiser, bisou, bécot… Incendies, incendies, incendies, Jaillissement de l’aurore, Mon sang cogne et gicle. Dard de l’Ankou, twist du diable, Mon corps fébrile devient pointe de lance).
Xavier Grall dira de lui : « Il manie la langue, en joue, en rêve, la balance dans le bruit et la musique, dans le cri et dans l’injure, dans le soleil et dans la nuit, avec un génie presque effrayant). La poésie de Koulizh Kedez ne se lit pas mais comme le faisait Flaubert, elle se gueule à voix haute pour faire ressortir la force de l’incantation.
Mais le poète sait aussi mettre les mots justes sur le drame de toute sa génération, ballotée entre deux cultures :
Etre div yezh, etre div vro,
en disrann e oan ganet,
an disparti e oa va darn,
ar c’hantren va lodenn…
e silwink war an ahel
etre an heol hag al loar
en disrann e oan ganet,
etre div vamm, etre daou vor
(Entre deux langues, entre deux pays, je suis né entre deux, la séparation est mon lot, le nomadisme mon destin… en équilibre sur ma poutre, entre lune et soleil, je suis né entre deux mères, entre deux mers).
Koulizh Kedez est un poète audacieux, visionnaire, exigeant, hors norme. Le nom de sa maison d’édition An diaoul dieub (le diable libre) résume toute une philosophie. Sur son site internet on peut lire cette maxime : Ur skrid na “zirenk” ket a zo ur boelladenn varv, un arnodenn lennegezh porneant, un oberenn didalvez glez. (Un texte qui ne “dérange” pas est un exercice sans vie, une expérience littéraire vaine, une œuvre sans le moindre intérêt.)
Pennad orin / Texte original
Va eskerneg
Ar stered a gleven o strakal war an doenn.
Edon gronnet gant ar goañv.
Va eskerneg, perak eo hi ken trouzus henoazh
Aotrou Parour ?
Tavedeket kammedoù reoù an Ankaou.
Tennet eus dev an avel
Mouladurioù Hor Yezh, 1987
Troidigezh / Traduction
Ma carcasse
J'entendais les étoiles éclater sur le toit.
J'étais investi par l'hiver.
Ma carcasse, pourquoi craque-t-elle tant ce soir
Seigneur Créateur ?
Qu'ils sont silencieux, les pas de l'Ankaou.
Dev an avel (La brulure du vent)
éd. Hor Yezh, 1987.
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Wikipedia (fr), Koulizh Kedez
Oberennoù klok Koulizh Kedez
Kedez (Koulizh), Orezonoù, in Sav Breizh N°5, 1971, pp 30-37
Kedez (Koulizh), En disrann e oan ganet, in Gorbl an avel, Skrid, 1993, pp 42-43
Grall (Xavier), Le cheval couché, Le livre de poche, 1978, pp 153-157.