1833 : Quand le cognac rend les habitants de Fouesnant fous
En 1833, quelques notables de Quimper créent le premier magazine bilingue de l’histoire de la langue bretonne. Mignon al labourer (L’ami du cultivateur) donne des conseils aux paysans pour améliorer l’agriculture mais aussi leur moeurs. Prenant prétexte d’échauffourées autour de l’arrivée d’un fut de Cognac sur la plage de Mousterlin, le journal raconte : Ur c’homist eus a vrigadenn Mousterlin a remerkas war an aod ur volead peizanted en dro d’ur varikenn hag en em lakont da dec’hout pa dosteas. Ar varikenn-se a oa dija didalet a zalc’he gwin-ardant a Gognak. (Un commis des Douanes de Mousterlin remarqua un attroupement de paysans autour d’une barrique sur la grève. Ceux-ci prirent la fuite à son arrivée. C’était un fût de Cognac déjà bien entamé).
Pas question de laisser l’eau de vie aux Douaniers, les paysans reviennent en nombre : En desped difenn ar gomisted en em lakejont da buñsañ gwin-ardant e listri disheñvel hag a furm hag a voul. Goude meur a grogadenn o deus ar gomisted gallet chom mistri eus ar varikenn goulonderet d’an tri palevarz (Malgré la résistance du commis, ils se mirent à puiser l’eau de vie dans des vases de différentes formes. Après une lutte prolongée, les commis restèrent maîtres de la barrique, vidée aux trois quarts.
Le narrateur s’attriste qu’une cinquantaine de personnes soient ramenées chez elles ivres-morte (Mezv-mik-dall) dont une jeune fille de 18 ans qui succomba.
Bien entendu, le journal bien pensant en profite pour donner des conseils de santé afin de sauver la vie de ceux qui perdent l’usage des sens par excès de boisson : Lakaat diwiskañ ar mezvier hag hen astenn war ur guchenn golo. Ober ur gwalc’h dezhañ gant dour yen gant gwinegr ha holen teuzet mat. Frotañ holl gorv ar mezvier. Grit dezhañ kemerout ur banne te skañv gant un nebeut sukr hag ul loiad gwinegr. (Déshabiller l’ivrogne et l’allonger sur de la paille, le laver à l’eau froide mélangée de vinaigre et de sel. Le frotter et lui faire prendre une bolée de thé léger avec un peu de sucre et du vinaigre).
Et les rédacteurs de conclure : Gwenvidik mar kemerfent hor c’hensitoianed diwar ar maez fiziañs en hor c’homzioù (Nous serions heureux que nos concitoyens des campagnes prennent confiance dans nos paroles). Ce ne fut pas le cas puisque la revue jugée trop élitiste disparut en 1834.
Pennad orin / Texte original
MINON AL LABOURER. (1)
Ar priz , heb port, pemp lur bep bloas. Al livradur en em ro ar 15 a hep mis. En em adresc a réeur êvid her c’haout é tî ann A. CHAUVEL , alvokad é Qemper.
AVIS.
Meûr a hini euz hor minonet ô véza bet ar sonjeroun da zigéri eur zouzkripsion é faveur ann eûvr a antréprénomp , memprou ar zosiété a émulasion ho deûz sonjet pénaoz ar zurra hag ar vrouézusa moïen a genobéridigez , a vigê ô kémérout eur serten noumbr a abonamanchou, hag ar zouzkripter hé-unan ho skinfé en tiégéziou hag é touez ar ré évit péré en em intéresfé gan-é-omp.
N’hon euz ket izoum hep douet da lakât rémerkout pénaoz priz ann abonamant, an espet d’ann diézamant euz eur buplikasion é brézouneg , a zô bet takset izel évit ma tirédo eur rum braz a dud , ha m’hè dévézô ar bublikasion eunn effet suit dré-zé.
Eur zosiété a zô en em furmet é Kemper azindân ann hâno a zosiétè a gendamouez , pé émulasion. Hé bûd a zo dijâ anavézet : mad ann darn-vuia euz ann dud dré ann holl voïénou lakéat enn hon dispozision gand ar volontez vad, hag ar c’henober ; gand ann instruksion hag ann holl labouriou fournisset dré efforchou meûr a zen.
Heb kounta aman al labouriou-zé ouz péré omp en em stourmet, é choumé ivé d’éomp da ober évid hoc’h, c’houi hor c’hensitoianet hag hor minounet diwar ar méaz, ar pez hon eûz gréât ' évid iaouankis kèar en eur réi d’hi-z-hi ( hep paéa ) skoliou diempech d’ann holl hô zélaou.
Sonjal hon eûz gréât pénaoz eur journal misiek, skrivet é brézounek , péhini a errufé gan-é-hoc’h ! eur vech er miz hag é nébeud a fréjou , a vê ar zurra moïen da gommunika gan-é-hoc’h.
Ar pez en em bropozomb éo éta : da barlant d’é-hoc’h euz ac’hanoc’h oc’h-unan , euz oc’h avantachou, euz ann obérou a zell ouz hoc’h da anaout, euz hô rélasionou gand ar c’houarnamant , euz ann dévériou impozet d’é-omp gand ar vamm-brô, euz ar broteksion a rô d’é-omb enn dizrô ; ha dréist kément-sé holl, euz ann holl bratikou hag anaoudégéziou a hell ho sklérijenna ha dont évid hoc’h, evel évid ar vrô eunn elfenn a binvidigez hag a c’halloud.
Hen ober a raimb atô gant simblded, gant madélez ivé , êvel m’en em adréseur d’eur minon koz péhini a garfet gwélout deskétoc’h, kengamarad, ha kenzitoian mad.
Ar c’henta numéro-man a venno d’é-hoc’h eur skeûdenn euz ann divizionou en em bropozomp da heûlia.
(1) Implijet en deus Combeau, penn redaktour brezhonek ar gelaouenn doare-skrivañ ar Gonideg. Hemañ en doa kinniget ober gant an ñ evit ar son /gn/ e-giz e spagnoleg. Moarvat n'en doa ket ar mouller ar sin tilde dindan an dorn setu perak eo bet skrivet Minon e lec'h Miñon.
Troidigezh / Traduction
L’AMI DU CULTIVATEUR.
Prix , franc de port, par an cinq francs. Il parait une livraison le 15 de chaque mois. On s’abonne chez M. CHAUVEL, Avocat à Quimper, et dans tous les bureaux de postes.
AVIS.
Plusieurs de nos amis ayant eu la pensée d’oùvrir une souscription en faveur de l’oeuvre que nous entreprenons, les membres de la Société d'émulation ont pensé que le moyen de coopération le plus sur et le plus fructueux, serait de prendre un certain nombre d’abonnemens que le souscripteur lui-mème répandrait dans les familles et dans les classes auxquelles il s’intéresserait avec nous.
Nous n avons pas besoin de faire remarquer sans doute que la modicité du prix d’abonnement malgré la difficulté d’une publication en langue bretonne , a été calculée pour que le concours des hommes de bien soit grand et d’un, effet assuré.
Une société s’est formée a Quimper sous le titre de Société d’Emulation. Son but est déjà connu : Le bien du plus grand nombre, par tous les moyens que mettent a notre disposition la bonne volonté , le concours, l’instruction et les travaux qui se complettent par les efforts de plusieurs.
Sans énumérer ici ceux de ces travaux auxquels nous nous sommes livrés il nous restait a faire pour vous , nos concitoyens et nos amis des campagnes, ce que nous avons tenté pour la jeunesse de la ville en lui offrant des cours gratuits.
Nous avons pensé qu’un Journal, écrit en breton , qui vous parviendrait une fois par mois et à peu de frais, serait le moyen le plus sûr de communiquer avec vous.
Ce que nous nous proposons est donc : de vous parler de vous-même, de vos intérêts, des faits qu’il vous importe de connaître, de vos rapports avec le gouvernement, des devoirs que la patrie nous impose , de la protection qu' elle nous doit en retour ; et par dessus cela de toutes les pratiques et les connaissances qui peuvent vous éclairer et devenir, pour vous, comme pour le pays un élément de richesse et de puissance.
Nous le ferons toujours avec simplicité , avec complaisance aussi, comme on s’adresse a un viel ami qu’on voudrait voir plus instruit, bon compagnon et bon citoyen.
Ce premier numéro vous offrira une idée des divisions que nous nous proposons de suivre.
(1) Le titre breton "Minon al labourer" peut surprendre. Le rédacteur bretonnant du journal avait en effet mis en pratique la réforme orthographique de Le Gonidec qui avait proposé d'utilisé le /ñ/ pour le son /gn/ comme en espagnol. L'imprimeur quimpérois n'avait pas sans doute ce caractère d'imprimerie, c'est pourquoi il a titré "Minon al labourer" au lieu de "Miñon al labourer". Cette proposition orthographique de Le Gonidec n'a pas été retenu pour l'orthographe actuelle. On écrit aujourd'hui "Mignon al labourer".
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Archives départementales du Finistère : Mignon al labourer
Raoul Lucien, L'ami du cultivateur, Mignon al labourer, in Un siècle de journalisme breton, éd. Le Signor, 1981, p. 44-55
Archives municipale de Quimper, La presse quimpéroise sous la monarchie de juillet (1830-1848)