Trésor de l’argoat : Les paysans, jardiniers du monde par Pierre-Jakez Hélias.
Quand Pierre-Jakez Hélias publie en 1975 ses chroniques de Ouest-France dans un recueil intitulé “Le cheval d’Orgueil” il ne s’attendait pas à cet engouement planétaire pour cet éloge des racines paysannes. Ce texte tiré du dernier chapître se veut une projection sur le monde à venir selon l’adage qu’il a popularisé : “Hep dec’h ha warc’hoazh, hiriv ne dalv ket c’hoazh”
(Sans hier et sans demain aujourd’hui ne vaut rien”.
Pennad orin / Texte original
An diwezhañ reuziad m’emañ paotr e rañv o c’hortoz gouzañv a zo distruj e liorzh. Rak ar beizanted ez eus outo gwir liorzherien an douar, ar re nemeto a zo mentet ouzh an douaroniezh.
Al liorzherien a loc’h kuit, gant ar mirri, ar paneroù, ar filzier hag ar c’hezeg sioul, da glask al loarioù kozh, kouezhet eus un oabl ma treser ennañ hiviziken, an hentoù da zont. An ardivinkoù ramzel a droc’h eeun e gwastell an torgennoù hag a werzs d’ar geot an istrejoù a ree an dro war o fouezh. Kantonioù penn-da-benn a ya adarre d’ar gouester hag e lec’h all labouradegoù divent a skarzh al leur evit ar bili raz, ar potojoù tredan hag ar moged melen. Lennoù a zeu war wel a-dreñv, chaoserioù taolet a-dreuz ar froudoù, lennoù e-lec’h ma tinto hebdale ouzh divskouarn tanv ar vojenn, kleier ar c’heriadennoù lonket.
Dremm ar bed a zo plastret muioc’h-muiañ. E dal ne lintr ket ken war liv kaer. Gounezet eo gant ar falsentez dre ma teu mab-den da vestr warnañ Daoust ha red eo klemm ? Nann, met Gortoz e teuyo ur gened nevez diwar gement-mañ… Perak ne rafe ket ? Ha diskenn an tok dirak ar goueriadelez kozh, hini liozherien ar bed.
Marc'h al Lorc'h, Plon, 1986 p 488
Troidigezh / Traduction
La dernière épreuve que l’homme à la bêche s’apprèe à subir de son vivant c’est la destruction de son jardin. Car les paysans sont les véritables jardiniers de la terre, les seuls qui soient à l’échelle de la géographie.
Les jardiniers s’en vont, avec les houes, les paniers, les faucilles et les chevaux paisibles, rejoindre les vieilles lunes tombées d’un ciel où se tracent désormais, les routes futures. Des machines géantes tranchent directement dans le gâteau des collines et livrent à l’herbe, les vieux chemins qui faisaient le tour sans se presser. Des cantons entiers retournent à la sauvagerie pendant qu’ailleurs d’énormes usines font place nette pour le béton, les poteaux électriques et les fumées jaunes. Des lacs apparaissent derrière des barrages imposés aux torrents, des lacs où tinteront bientôt aux oreilles attentives de la légende, les cloches des villages engloutis.
Le visage du monde se farde de plus en plus. L’artifice l’envahit à mesure que l’homme s’en rend maître. Faut il le déplorer ? Non, mais espérer qu’une nouvelle beauté surgira un jour de tout ceci, pourquoi pas. Et tirer le chapeau à l’ancienne paysannerie, les jardiniers du monde.
Le cheval d'Orgueil, Plon, 1975, P. 508
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Helias (Pierre-Jakez), Le Cheval d'Orgueil, Plon, 1975
Helias (Per-Jakez), Marh al lorh, Plon, 1986