1785 : Le dictionnaire breton de Catherine de Russie
En 1784, l’impératrice Catherine II de Russie se passionne pour les langues de son empire. Elle lance un grand projet de Vocabularia. Pour l’enrichir elle sollicite les diplomates dans un français parfait : « J’ai fait un registre de 273 mots russes, je les ai fait traduire dans autant de langues et de jargons que j’ai pu trouver, ceci m’a appris que le celte ressemble à l’ostiaque, que Dieu signifie le très haut ou le bon, le soleil ou le feu dans certains dialectes … ».
Elle demande au professeur Pallas de compléter son travail. Il réunit quelques 200 langues d’Europe et d’Asie. Nous possédons ainsi 273 mots en bretanski (brezhoneg) écrits en alphabet cyrillique. On y trouve essentiellement des mots de la vie courante : tête (penn), visage (fas), nez (fri), narines (fronelloù), œil (lagad), sourcils (abrant) ou (mourennoù).
Religion oblige, le premier mot c’est Dieu (Doue) et le second, ciel traduit par deux mots : le ciel religieux se dit an neñvet le ciel de la méteo an oabl.Les celtisants qui se sont intéressés à ce vocabulaire insolite se sont posés la question de savoir pourquoi, parfois, il y avait deux réponses pour le même mot. C’est le cas pour lamentation (hirvoud – klemmadenn), amour (karantez – orged), tempête (tourmant-barramzer), éclair (luc’hedenn-brogon), grêle (kazarc’h-grisilh), vagues (gwagoù-houlennouigoù) etc.
On connaît le fin mot de l’histoire : l’ambassadeur de France pour faire plaisir à l’Impératrice, est intervenu auprès de l’intendant de Bretagne pour « faire traduire les mots dans le canton dont le dialecte est reconnu pour être l’ancienne langue bas-bretonne ». Le représentant du roi s’adresse alors à deux subordonnés, l’un à Lannion, l’autre à Quimper, et il reçoit deux listes de mots, d’où la dualité de certaines réponses !
Le premier explique les mutations : kelc’h, cercle, ar c’helc’hle cercle. Beau adjectif se dit kaermais le beau se dit ar c’haeret la belle ar gaerez. L’autre dit qu’un mot peu avoir plusieurs significations ainsi : malheur peut se traduire par reuz, gwall, anken, poan selon la nuance. Le plus drôle est le mot arrête : l’un traduit sav(arrête-toi) et l’autre drein-pesked(arête de poisson) !
Les deux, voulant faire savant sont allés chercher de vieux mots celtiques : ainsi rouge se traduit par ruzou goc’h(mot gallois inconnu en breton), rivière par stêrou avon(mot gallois). Avis aux chercheurs, il reste des mots mystérieux : gouevar(os), magon(champ), meidr(mesure), kive(tonneau)…
Bel exemple du siècle des lumières, la Grande Catherine montrait un égal respect pour toutes les langues du monde. Ce n’est pas le cas des dirigeants peu éclairés du XXIème siècle : la moitié des 6000 langues du monde va disparaître. Quel appauvrissement !
Pennad orin / Texte original
A la fin de l'ouvrage vient la façon de compter des peuples d'Europe et d'Asie
Un, unan.
Deux, daou
Trois, tri.
Quatre, pevar.
Cinq, pemp.
Six, c'hwec'h.
Sept, seizh
Huit, eizh
Neuf, nav
Dix, dek
cent, kant
Mille, mil
Troidigezh / Traduction
Sumeralis Populorum Europae et Asiae
Unan, unon
Daou, dié
Tri
Pêvar, pédoar
Pémp
C'houéc'h, houéc' h
Séïs, séï
Èïs, èï
Nao, naou
Déék
kant
Mil
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Volney, Rapport sur le vocabulaire comparés des langues de toute la terre, in Bulletin de l'Académie Celtique, T.1, 1807, pp99-135
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k39609h/f125.image.r=academie%20celtique
Gargadennec Roger & Laurent Charles, Le dictionnaire breton de Catherine de Russie, in Annales de Bretagne, Année 1968 pp. 789-833
https://www.persee.fr/doc/abpo_0003-391x_1968_num_75_4_2496
Loth (Joseph), Un essai de vocabulaire breton inédit au XIXème siècle, in Annales de Bretagne, 1896, P. 471.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k214909x/f469.image.r=1896
Pallas (Peter Simon), Vocabularia Linguarium, totus orbis comparativa, Petropoli, 1787-1789
https://www.europeana.eu/portal/fr/record/9200143/BibliographicResource_2000069398940.html?q=Pallas+Vocabularia#dcId=1552943315845&p=1
Muradova (Anna), Some breton words in the dictionnary of the Russian Empress, Societas Celto-Slavica