1754 : Le breton langue première du monde
Au siècle des Lumières, les savants font feu de tout bois pour réexpliquer le monde de manière rationnelle. Jean-Baptiste Bullet, de Besançon, dans « Mémoire sur la langue celtique » s’attaque au mythe de Babel : Dieu a dispersé son peuple et c’est le climat qui a fait diverger les parlers. Il faut rechercher la langue commune primitive à partir des langues grecque et celtique qui se sont mélangées pour donner le latin. Prenons le mot amour : il n’est pas grec, il est donc celtique, de plus dit-il, on le trouve en breton dans abalamour (pour l’amour de). Quant à la fleur de lys, l’emblème de la royauté, le mot lys n’a rien à voir avec la fleur écrit-il, mais avec le breton lis, lezqui signifie la cour d’un prince ! Il n’hésite pas à expliquer la terminaison du futur français rai par la conjugaison bretonne du verbe faire = ray. Ainsi mangerai peut se décomposer par manger – ray littéralement manger je ferai !
Ce genre de rapprochement, tiré par les cheveux, fait sourire aujourd’hui. Bullet se donne à cœur joie dans l’explication -souvent fumeuse- des noms de lieux :
Dans Genève il voit gen – genou = bouche et ev= eau (verbe evañ=boire) ! dans Tarn, le breton taran(tonnerre), dans Montbrison mont= montagne, bris= petit et aon=rivière…
Il travaille sur une centaine de dictionnaires de langues diverses, et pour lui, il y a des racines celtiques partout. Ainsi il traduit adpar liquide, Le breton et le gallois gwad(sang) s’explique par go +adlittéralement rouge-liquide. Adse retrouve dans le persan adid(source), l’hébreu ad(fontaine), l’anglais water(eau), le turc vadi(lit de rivière), etc
Il trouve aussi des similitudes dans les grammaires. Les mutations bretonnes se déclinent en gallo : ainsi kloc’h, ar c’hloc’h, (cloche, la cloche), se retrouverait dans le parler de Saint-Malo où on dit une hloche, un hloistre, une hlef. C’est sans doute dans les langues romanes, non formatées par l’Académie française, qu’il fait les rapprochements les plus heureux. Ainsi, il rapproche le breton ankeler du franc-comtois kela, les deux signifient feu follet.
Bullet fait partie des pionniers celtomanes qui ont mis en avant la parenté des langues européennes ainsi que la présence du celtique dans les noms de lieux et de personnes. Ses trois ouvrages eurent vingt rééditions et ont attiré l’attention sur l’apport gaulois dans la langue française.
Pennad orin / Texte original
Troidigezh / Traduction
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Bullet (Jean-Baptiste), Mémoires sur la langue celtique, lire en ligne sur Gallica
Pignatelli (Cinzia), L'étymologisme celtomane de Jean-Baptiste Bullet, Lire en ligne
Vanwelkenhuyzen (Nadine), L'étymologie totalitaire en France au XVIIIème siècle, Lire en ligne
Guiomar (Jean-Yves), La Nation entre l'histoire et la raison, éd La découverte, 1990, P.92. Lire en ligne
Jean-Marie Le Goff, Sur le dictionnaire Celtique-Français de Bullet, in Arvor N°47, 23 Novembre 1941 Lenn en linenn