1943 : Andre Guilcher géographe et bretonnant
Originaire de l’île de Sein, le géographe André Guilcher s’est très tôt passionné pour les fonds sous-marins. A 23 ans, il publie ses premières études scientifiques qu’il résumera en breton dans un livre publié en 1943 : Er studiadenn-mañ ez omp aet d’an anav d’an dianav ; eus aodoù hor bro d’an aodoù estren : eus neuzioù ar strad a zo dizolo pa vez ar mor o tichaliñ da gondonioù donoc’h eget n’eo uhel ar menezioù ramzelañ (Dans cette étude, nous sommes allés du connu vers l’inconnu, des rivages bretons aux rivages étrangers, de l’étude de l’estran aux fosses marines plus profondes que les montagnes les plus hautes).
On apprend avec étonnement que nos vallées littorales qu’on appelle du nom breton aber dans le langage scientifique international, se continue sur le plateau continental (gourvazenn an douar bras). Elles sont témoins de la variation du niveau de la mer tout comme les menhirs qui ont les pieds dans l’eau à Plouguerneau, Pont l’Abbé ou dans le golfe du Morbihan. André Guilcher étudie les fjords nordiques, sculptés par d’anciens glaciers mais il est surtout fasciné par les fosses marines qui peuvent atteindre plus de 10km de profondeur. Il les nomme kanienn (cañon) ou islonk (fosse). Avant guerre, l’étude des fonds océaniques progresse à grands pas grâce au sonar : Muzuliañ e vez an amzer tremenet etre tarzh un tenn fuzuilh ha distro an trouz adalek ar goueled : an sonterezh dre heklev eo. (On mesure le temps que met le bruit d’un coup de fusil à atteindre le fond de la fosse : c’est le sondage par l’écho). Dans son livre en breton, André Guilcher, envisage avec modestie sa future carrière scientifique toute entière consacrée aux mystères des profondeurs : A-benn bloavezhioù hir a labour aketus e komprenor marteze ar c’haniennoù hag an islonkoù pe gentoc’h e c’hellor lavarout : ar goulakadur-mañ a zle bezañ gwir ( Il faudra de longues années de travail acharné pour qu’on comprenne le phénomène des cañons et des fosses et on devra dire sans certitude : cette théorie est la plus vraisemblable.)
André Guilcher a produit quelques 650 articles scientifiques ce qui en fait une référence mondiale pour la géographie marine. Professeur à l’université de Nancy, puis à la Sorbonne, c’est à Brest qu’il choisit de mener ses travaux. Il est à l’origine de l’Institut Universitaire Européen de la Mer de Plouzané.
Pennad orin / Texte original
Troidigezh / Traduction
Le Stangala : un paradis inattendu
Les balades agréables ne manquent pas aux alentours de Quimper. Nulle part en Bretagne peut-être on ne trouve des paysages aussi verdoyants et doux qu’en Cornouaille. L’Odet jusqu’à Combrit, le Steir, le Stangala[1], constituent autant de vallées boisées où il fait bon se promener les jours d’été.
Le trajet de Quimper à Bénodet est renommé à juste titre ; le Stangala est moins connu car moins accessible. Aucune route ne le traverse : il est vrai qu’il est plus silencieux et comme le dirait M. Le Guennec[2] - paix à son âme – grand connaisseur et fan de la Cornouaille, les automobiles ne peuvent y accéder et empester l’air de leurs gaz d’échappement.
Pour aller au Stangala, partons ensemble de Quimper de bon matin. Au lieu d’aller directement par Cuzon ou par le terrain de foot de Keruhel, il vaut mieux prendre la route de Landudal. Une balade d’environ 35 km, c’est ce qu’il y a de mieux pour s’aérer les poumons.
Passé la voie de chemin de fer de Rosporden, nous montons petit à petit vers Lestonan en traversant des champs fertiles. Les tours de la cathédrale et les hauteurs du Frugy s’estompent dans les brumes matinales, déjà à moitié dispersées dans les vallées du Jet et de l’Odet. On arrive rapidement sur un plateau à environ 115 m d’altitude qui s’élève doucement vers Coray et Briec. Nous ne sommes plus très loin de la vallée du Stangala, pourtant nous ne l’apercevons pas encore. Voilà une descente : là se trouve la vallée de l’Odet et nous y accédons par un vieux pont couvert de verdure. Terminé pour nous le chemin facile : nous allons retourner sur Quimper à travers prairies et champs.
Ici la vallée de l’Odet est attachante et paisible. Sur le côté gauche de la butte il y a un « tertre », sorte de pente escarpée et boisée. Sur le côté droit nous distinguons petit à petit des collines en direction du Nord.
Un peu après nous sommes sous la voûte sombre d’un bois de sapins. Sous les arbres une charmante petite route longe le canal qui conduit l’eau de l’Odet à la grande papeterie Bolloré où l’on fabrique le papier à cigarette bien connu de tous.
L’usine est nichée au fin fond de la vallée, entourée de verdure ; et jamais la nature n’a été aussi peu polluée par le travail de l’homme.
La rive gauche devient de plus en plus escarpée à Grifonez[3]. L’Odet qui coulait jusqu’ici vers l’ouest, se dirige brusquement vers le sud. Des hauteurs, à 80 m au-dessus de l’eau, c’est un spectacle sans égal de voir la rivière faire un méandre et sauter par-dessus les rochers. À Grifonez nous atteignons le grand Stangala. Désormais les deux rives ont la même hauteur. Jusqu’au moulin de Penn-C’hoad la rivière chute de l’altitude de 41m à pas plus de 10 m sur une distance d’environ 3 km (¾ de lieue).
Cela fait quelques années, les ingénieurs avaient pensé faire un grand barrage à côté du moulin de Penn-c'hoad. Il y aurait eu un lac là où se situe aujourd’hui le Stangala, comme celui qui est à Guerlédan sur le Blavet. On aurait eu de l'électricité en abondance pour Quimper et la totalité de la Basse Cornouaille.
Pourtant cette idée là n’a pas été menée à son terme, je ne sais pour quelle raison[4]. Le Stangala est toujours le Stangala, une rivière rapide et bouillonnante. Tout d’abord le Grand Stangala, plus majestueux et plus sauvage ; ensuite le Petit Stangala avec ses petits bois et ses petits sentiers, où les Quimpérois vont marcher et entendre, durant l’été, les rires des enfants jouant à cache-cache : les deux Stangala étant remplis de truites et fréquentés par les pêcheurs spécialistes du « lancer léger ». Entre les hauteurs de Beg ar Menez et la chapelle Saint Gwenolé, en vérité, le Stangala est un paradis inattendu.
Notre randonnée se termine au moulin de Penn C’hoad. Du côté de Quimper la vallée est bien plus large. Sans tarder nous sommes dans la plaine de Kerhuel. Ici se trouve le confluent de l’Odet et du Jet. En fait la plaine de Kerhuel n’est que la continuité de la vallée du Jet si droite depuis Saint-Yvi.
Si vous êtes un peu curieux vous demanderez après cette randonnée : pourquoi cette vallée de l’Odet n’a-t-elle pas toujours la même allure de Landudal à Quimper ? Pourquoi y-a-t’il au début une différence de hauteur entre les deux rives ? Pourquoi ensuite la rivière court-elle dans le passage étroit des hautes collines du Stangala ? Pourquoi aussi l’eau va-t-elle si vite entre les rochers du Stangala ? Enfin pourquoi la vallée est-elle si large et la rivière si calme après le moulin de Penn-C’hoad ?
Il y a de bonnes raisons à cela. À l’origine l’Odet coulait sur les plateaux de Beg ar Menez, St Guénolé, Lestonan, bien plus haut que maintenant ; peu à peu, à force de grignotage, l’érosion leur a fait perdre de l’altitude. La roche bien sûr n’était pas aussi dure partout. Avant Grifonez on trouve du granit sur le côté gauche, c’est une roche dure et résistante. Sur la droite au contraire on trouve surtout du schiste, beaucoup plus tendre. Pour cette raison, la rive droite a été érodée plus vite que la gauche. Entre Grifonez et le moulin de Penn-C’hoad on trouve du granit des deux côtés, ce n’est pas étonnant de voir des reliefs élevés des deux côtés et tant de rochers qui barrent le courant. Près de Quimper enfin nous retrouvons l’Odet dans le schiste comme le Jet depuis Saint-Yvi ; de la roche tendre à nouveau et à nouveau une large vallée.
Les balades seraient beaucoup plus agréables si on pouvait toujours savoir pourquoi les choses sont comme elles sont. Voir de beaux paysages, c’est bien. Les comprendre c’est mieux. Si vous êtes de Quimper, allez donc jusqu’au Stangala. Regardez autour de vous et cherchez à comprendre. Vous n’aurez pas perdu votre temps.
Lan Devenneg (André Guilcher)
Ar Stangala (Arvor 9/11/1941)
traduction du breton par l’atelier Konta kaoz des Brezhonegerien Leston.
[1] « Stank Ala » ou actuellement Stangala : non loin de l’usine Bolloré se trouve une fontaine dédiée à Saint Ala ou Alar. En fait elle se situe un tout petit peu plus vers l’est. « Stank » ou « stanken » est utilisé dans le sens de vallée profonde en Cornouaille.
[2] Louis Le Guennec (1878-1935), érudit, auteur de nombreux ouvrages d’histoire locale.
[3] D’après ce que dit un conte fantastique, un griffon y vivait autrefois, une espèce d’énorme dragon terrifiant qui avalait les jeunes filles.
[4] Cf l’ouvrage référence sur Le Stangala, par Jean-François Douget, Ed. Arkae 2003. pp 45-47
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Levrlennadurezh brezhoneg / Bibliographie des écrits en breton
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http://bibliotheque.idbe-bzh.org/document.php?id=traoniennou-ha-kaniennou-mor-2203&l=fr
- Heuliad "Dre Vreiz" er gelaouenn sizhuniek Arvor.
Enez Sun, in Arvor, n°40, 5/10/1941 (sinet mab-bihan ar fakteur).
Ar Stangala in Arvor, 9/10/1941. http://www.arkae.fr/index.php/brezhoneg/442
Eur porz bras : Naoned, in Arvor n°50,14/12/19411941
Bro Rez ha Lenn Lanveur, in Arvor, n°59, 22/02/1942
Lanneier Lanvaoz in Arvor, n°66-67, 12-19/04/1942
Aberioù Bro Leon, in Arvor, n°84, 16/08/1942
Hor stêr vrasañ, in Arvor, n°98, 22/11/1942
Ur sell war Dunizia an norz,in Arvor, n°103, 27/12/1942
Ar Menezioù Tan e Breizh,in Arvor,n°107, 31/01.1943
Tiez Bras Amerika, in Arvor, n°121,9/05/1943
Steriadou fank ha lampraduriou douar in Arvor n°122 16/05/1943
- Dindan an anv-bluenn Yann-Nouel Guardon
Talvoudegezh ar brezhoneg krenn, in Tir na nog,N°1, 1946
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Ma 'z afemp-ni..., in Al Liamm, N°41, 1953. (Barzhoneg)
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Français
Vanney (J.-R), Un phare s'est éteint : André Guilcher, in Annales de Géographie, n°577, 1994
https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1994_num_103_577_13784
Carré (François), André Guilcher (1913-1993), une vie de géographe, suivie d'une bibliographie, in Norois, 1995
https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1994_num_103_577_13784
Kostiou (Jeremi), André Guilcher, un Breton pionnier de la géographie, in Penn ar bed, n°228,2017