1836 : Bosenn Eliant (La peste d’Elliant)
Étudiant à l ‘École des chartes à Paris, Théodore-Hersart de la Villemarqué publie à 21 ans dans l’Echo de la Jeune France, une complainte bretonne Bosenn Eliant (La peste d’Elliant) qu’il présente comme un débris du bardisme. Trois ans plus tard, c’est une des pièces maitresses de son Barzhaz Breizh (Recueil poétique de Bretagne), le livre le plus emblématique de notre tradition populaire chantée. Il sera rapidement traduit dans plusieurs langues européennes.
La Peste d’Elliant raconte les ravages du terrible fléau qui toucha épisodiquement la Bretagne de 1349 à 1659. E bro Eliant heb laret gaou Emañ diskennet an ankou, Marv an holl dud nemet daou (L’ankou est descendu à Elliant, Il a emporté tout le monde sauf deux personnes). La description du bourg d’Elliant vidé de ses habitants est terrible : E kreiz Eliant, er marc’hallec’h, geot da falc’hat e kavfec’h, nemet en hentig eus ar c’harr a gas re varv d’an douar (Au centre d’Elliant, la place du marché est envahie par l’herbe haute ; on voit juste les traces des roues des corbillards qui mènent les morts au cimetière).
L’évocation d’une charrette remplie de cadavres est devenu célèbre grâce au peintre malouin Louis Duveau qui en a fait un radeau de la méduse breton : Lec’h oa nav mab en un tiad, Aent d’an douar en ur c’harrad hag o mamm baour ouzh o charread, O zad a-dreñv o c’hwibanat, kollet gantañ e skiant vat, Hi a yude, galve Doue Reustlet e oa korf hag ene … (Les cadavres des neuf fils gisaient dans une charrette suivie par le père devenu fou. La mère complètement dévastée, corps et âmes, hurlait, appelait Dieu tout en tirant le tombereau…).
La fin de la complainte est apocalyptique : Leun ar vered rez ar c’hleunioù, Leun an iliz rez an treuzoù, Me wel er vered un dervenn hag en he beg ul liñser wenn, Aet eo an holl dud gant ar vosenn (L’église et le cimetière sont plein à ras bord, Je vois un haillon blanc au bout d’un chêne, la peste a emporté tout le monde).
Bel exemple de ce que Georges Sand a appelé « Les diamants du Barzhaz Breizh ». Ce réservoir de contes et de chants a nourri l’imaginaire breton dans une époque romantique qui a replacé la Bretagne comme haut lieu de la littérature orale en Europe.
Pennad orin / Texte original
Tre Langolen hag ar Faouet
Ur barzh santel a vez kavet
Hag eñ Tad Rasian anvet
Laret en deus d'ar Faouediz :
Lakaet un oferenn bep miz
Un oferenn en hoc'h iliz
Aet eo ar vosenn a Elliant
Hogen n'eo ket aet hep forniant
Aet zo ganti seizh mil ha kant
E bro Elliant, hep laret gaou,
Emañ diskennet an Ankou
Marv an holl dud nemet daou
Ur c'hwregig kozh tri-ugent vloaz
Hag ur mab hepken he devoa
"Edi ar vosenn penn ma zi :
Pa garo Doue 'teui en ti
Ni yey 'maez pa deui", emezi
E kreiz Elliant, er marc'hallec'h,
Geot da falc'hat e kavfec'h
Nemet en hentig eus ar c'harr
A gas re varv d'an douar
Kriz vije 'r galon na ouelje
E bro Elliant, neb a vije :
Gwell't triwec'h c'harr tal ar vered
Ha triwec'h all eno tonet
Lec'h oa nav mab en un tiad
Aent d'an douar en ur c'harrad
Hag o mamm baour oc'h o charrat
O zad a-dreñv o c'hwibannat
Kollet gantañ e skiant-vat
Hi a yude, galve Doue
Reustlet e oa korf hag ene
"Lakaet ma nav mab en douar
Ha me roy deoc'h ur gouriz koar
A rey teir zro en-dro d'ho ti
Ha teir en-dro d'ho minic'hi
Nav mab em boa em boa ganet
Setu gant an Ankou int aet
Gant an Ankou e toull ma dor
Den da hul din ul lommig dour !"
Leun er vered rez ar c'hleunioù
Leun an iliz rez an treuzoù
Ret eo benniget ar parkoù
Da lakaat enno ar c'horfoù
Me wel er vered un dervenn
Hag en he beg ul liñser wenn
Aet an holl dud gant ar vosenn
Troidigezh / Traduction
Entre Langolen et le Faouet, il y a un saint Barde, appelé Père Rasian ;
Il a dit aux hommes du Faouet : Faites célébrer chaque mois une messe, une messe dans votre église.
La peste est partie d’Elliant, mais non pas sans fournée : elle emporte sept mille cent !
En vérité, la Mort est descendue dans le pays d’Elliant, tout le monde a péri, hormis deux personnes :
Une pauvre vieille femme de soixante ans et son fils unique.
« La peste est au bout de ma maison ; quand Dieu voudra elle entrera ; lorsqu’elle entrera, nous sortirons, » disait-elle.
Sur la place publique d’Elliant. on trouverait de l’herbe à faucher, Excepté dans l’étroite ornière de la charrette qui conduit les morts en terre.
Dur eût été le cœur qui n’eût pas pleuré, au pays d’Elliant, quel qu’il fût :
En voyant dix-huit charrettes pleines à la porte du cimetière, et dix-huit autres y venir.
Il y avait neuf enfants dans une même maison, un même tombereau les porta en terre,
Et leur pauvre mère les traînait.
Le père suivait en sifflant... Il avait perdu la raison.
Elle hurlait, elle appelait Dieu, elle était bouleversée corps et âme :
— Enterrez mes neuf fils, et je vous promets un cordon de cire qui fera trois fois le tour de vos murs [3] :
Qui fera trois fois le tour de votre église, et trois fois le tour de votre asile.
J’avais neuf fils que j’avais mis au monde, et voilà que la Mort est venue me les prendre ;
Me les prendre sur le seuil de ma porte ; plus personne pour me donner une petite goutte d’eau ! —
Le cimetière est plein jusqu’aux murs ; l’église pleine jusqu’aux degrés ;
Il faut bénir les champs pour enterrer les cadavres.
Je vois un chêne dans le cimetière, avec un drap blanc à sa cime : la peste a emporté tout le monde.
Barzaz Breiz
https://fr.wikisource.org/wiki/La_Peste_d%E2%80%99Elliant
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Brezhoneg
Kervarker, Barzhaz Breizh, Mouladurioù Hor Yezh, 1997
ELIES, Fañch, En ur lenn Barzhaz-Breizh, Preder, 2013
Rouz (Bernez), Hengoun ar vosenn e Breizh-Izel, Emb. Hor Yezh, 1980.
Wikipedia : https://br.wikipedia.org/wiki/Barzhaz_Breizh
Kergourlay (Guillaume), Bosenn Eliant, 1989. http://www.arkae.fr/index.php/component/content/article/24-tresors-darchives-bzh/458-klemmgan-bro-eliant
Souchon (Christian), http://chrsouchon.free.fr/bosennf.htm
Français
Théodore Hersart de la Villemarqué, Le Barzhaz Breizh - Trésor de la littérature orale de Bretagne, Coop Breizh, 1997 (5vet édition)
Laurent (Donatien), Les Premières collectes de La Villemarqué : Aux origines du Barzaz-Breiz, CRBC, 1974
Laurent (Donatien), Aux sources du Barzaz-Breiz – La mémoire retrouvée d'un peuple, Le Chasse-Marée, 1989
Postic (Fañch), La Peste d'Elliant, in Kerdevot, livre d'or du cinquième centenaire, 1989 p.16-30
Souchon (Christian) Les Mystères du Barzhaz Breizh, https://www.amazon.fr/myst%C3%A8res-Barzhaz-Breizh-collect%C3%A9s-Villemarqu%C3%A9/dp/1540742113