1839 : BARZHAZ BREIZH, les diamants de la littérature bretonne
La publication bilingue des chants populaires de la Bretagne et ses multiples traductions ont suscité une pluie d’éloges sur l’ouvrage d’Hersart de la Villemarqué, collecteur précoce de la tradition dans son pays de Quimperlé : Génie épique, dramatique, amoureux, guerrier, tendre, triste, sombre, moqueur, naïf, tout est là ! écrit Georges Sand qui n’hésite pas à le comparer à L’Iliade grec.
An aouryeotenn a zo falc’het, Brumenniñ raktal en deus graet. Argad !
Va mabik Karo dibennet Gant ar Gall esgumuniget ;
Dibennet, flour, penn-melen-mell, Da beurgompezañ ar skudell !
Hag eñ da ouelañ, ken e yeas, E zaeroù beleg e varv glas,
Ken a lugerne evel glizh War vleuñ lili, pa strink ann deiz.
(L’herbe d’or est fauchée, il bruine soudainement. Bataille ! Mon pauvre fils Karo décapité par le Franc excommunié ; Décapité dans sa fleur, et dont la tête, blonde comme du mil, a été jetée dans la balance pour faire le poids ! Et le vieillard de pleurer, et ses larmes de couler le long de sa barbe grise, Et elles brillaient comme la rosée sur un lys, au lever du soleil.).
Le Barzhaz Breizh démontre la puissance évocatrice de la mémoire du peuple : E Bro Eliant hep laret gaou, Emañ diskennet an Ankaou, Marv an holl dud nemet daou, Leun eo ‘r vered ‘rez ar c’hleuzioù, Leun an iliz ‘rez an treuzoù, ret eo bennigañ ar parkoù, da lakaat enno ar c’horfoù. (La Mort est descendu au pays d’Elliant ; Tout le monde a péri sauf deux personnes. Le cimetière est plein jusqu’aux murs et les églises jusqu’au seuil, Il faut bénir les champs pour enterrer les morts).
Le lyrisme des chants de guerre du Moyen-Âge a donné au recueil sa dimension d’épopée bretonne : Gant ar c’hleze en em fustont, Ken e krene ‘r murioù gant ar spont ; Ha ken e taole tan an armoù Evel houarn ruz war anneoù, Ken e kavas an tu ar Breton, Ha plantas e gleñv en e galon, Hag e c’hoaf digantañ a dennas Ha penn ar Morian bras a droc’has. (Ils se donnèrent de tels coups d’épée que les murs tremblaient d’épouvante Et que leurs armes jetaient des étincelles comme le fer rouge sur l’enclume. Enfin le Breton, trouvant le joint, enfonça son épée dans le cœur de l’adversaire. Et en retirant son épée, il coupa la tête du géant maure). Le Barzhaz Breizh est le révélateur puissant de l’identité bretonne. Un incontournable !
Pennad orin / Texte original
Drouk-kinnig Neumenoioù
An aour yeotenn a zo falc'het
Brumenniñ raktal en deus graet
- Argad ! -
- Brumenniñ ra-, a lavare
An ozac'h-meur, eus lein Are
Argad !
Brumenniñ, teir sun zo, teñval
Ken teñval, war zuioù Bro-C'hall
Ken n'hallan gwelet e nep giz
Ma marc'h o tonet war e giz
"Marc'hadour mat, o vale bro,
Klevas-te roud ma mab Karo ?
- Bout a-walc'h, tad kozh an Are,
Daoust penaos eo, ha pe zoare ?
- Den a skiant, den a galon
Aet gant ar c'hirri da Roazhon
Aet da Roazhon gant ar c'hirri
Tennerien outo tri-ha-tri
Droug-kinnig Breizh ganto, hep si
Hag hen rannet 'tre peb hini
- Mard eo ho mab ar c'hinniger
E c'hortoz a reot en aner :
Pa aet da bouezañ an arc'hant
Fallout a eure tri war gan
Ken a lavaras ar merer :
"Da benn, gwaz, a ray an afer"
Ha peg en e gleñv en deus graet
Ha penn ho mab en deus troc'het
Hag en e vlev en deus kroget
Hag er skudell 'neus hen taolet"
An ozac'h kozh dal m'e glevas
Tost a oa de'añ ken na semplas
War ar garreg a gouezhas krenn
Kuzhet e zremm gant e vlev gwenn
E benn en dorn, o leñvañ maour :
"Karo, va mab, va mabig paour !"
Troidigezh / Traduction
Le tribut de Nomenoe
L’herbe d’or est fauchée ;
il a bruiné tout à coup.
— Bataille ! —
— Il bruine, disait
le grand chef de famille des montagnes d’Arez ;
— Bataille ! —
Il bruine depuis trois semaines, de plus en plus,
de plus en plus, du côté du pays des Franks,
Si bien que je ne puis en aucune façon
voir mon fils revenir vers moi.
Bon marchand, qui cours le pays,
sais-tu des nouvelles de mon fils Karo ?
— Peut-être, vieux père d’Arez ;
mais comment est-il, et que fait-il ?
— C’est un homme de sens et de cœur ;
c’est lui qui est allé conduire les chariots à Rennes,
Conduire à Rennes les chariots
traînés par des chevaux attelés trois par trois,
Lesquels portent sans fraude le tribut de la Bretagne,
divisé entre eux.
— Si votre fils est le porteur du tribut,
c’est en vain que vous l’attendrez.
Quand on est allé peser l’argent,
il manquait trois livres sur cent ;
Et l’intendant a dit :
— Ta tête, vassal, fera le poids. —
Et, tirant son épée,
il a coupé la tête de votre fils.
Puis il l’a prise par les cheveux,
et il l’a jetée dans la balance. —
Le vieux chef de famille, à ces mots,
pensa s’évanouir ;
Sur le rocher il tomba rudement,
en cachant son visage avec ses cheveux blancs ;
Et, la tête dans la main, il s’écria en gémissant :
— Karo, mon fils, mon pauvre cher fils ! —
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
éditions du Barzhaz Breizh
Théodore Hersart de la Villemarqué, Barzaz-Breiz, 1846, https://fr.wikisource.org/wiki/Barzaz_Breiz/1846
Théodore Hersart de la Villemarqué, Barzaz-Breiz – Chants populaires de la Bretagne, Paris, Librairie académique Perrin, 1867 (édition définitive) (ISBN 978-2-7071-1241-5)
(fr)(br) Théodore Hersart de la Villemarqué, Barzaz-Breiz – Chants populaires de la Bretagne (1867), Paris, Éditions du Layeur, 2003, avec ur CD (ISBN 978-2-9114-6896-4)
(fr) Théodore Hersart de la Villemarqué, Le Barzhaz Breizh - Trésor de la littérature orale de Bretagne, Coop Breizh, 1997 (5vet embannadur) (ISBN 978-2-9099-2485-4)
(br) Kervarker, Barzhaz Breizh, Mouladurioù Hor Yezh, 1997, (ISBN 978-2-8686-3038-3)
(br) Barzaz Breiz, Lec'hiad Per Kentel, "Son ha Ton"
Brezhoneg
Abeozen, En ur lenn Barzhaz Breizh, Preder, 1962.
Wikipedia : https://br.wikipedia.org/wiki/Barzhaz_Breizh
Français
Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Barzaz_Breiz
Laurent (Donatien), Aux sources du Barzaz Breiz. La mémoire d'un peuple, Douarnenez, éditions Ar Men, 1989.
Blanchard (Nelly), Barzaz-Breiz : une fiction pour s'inventer, Rennes, Presses universitaires de Rennes, , 308 p.
Postic (Fañch), "George Sand et les « diamants » du Barzaz-Breiz", in BÉROSE, encyclopédie en ligne sur l’histoire des savoirs ethnographiques, Paris, IIAC-LAHIC, 2015. http://www.berose.fr/?George-Sand-et-les-diamants-du